CHAPITRE XXX

Ils laissèrent les eunuques chanter les louanges de la Reine des Serpents, agenouillés dans la salle du trône, pour suivre tante Pol à travers les galeries et les salles voûtées désertes. Son épée à la main, Barak refaisait à grandes enjambées le chemin qu’il avait suivi en arrivant, reconnaissable aux cadavres sauvagement mutilés qui le jonchaient. Le visage livide du grand bonhomme arborait une expression sinistre, et il lui arriva plus d’une fois de détourner les yeux devant le terrible carnage qui marquait leur trajet.

Ils émergèrent du palais pour trouver Sthiss Tor plongée dans des ténèbres plus sombres que la nuit la plus noire. Une torche prise au palais dans une main, son épée dans l’autre, Barak leur ouvrit un chemin dans la foule hystérique qui se lamentait dans les rues, en proie à une terreur abjecte, et il devait être si terrible que, bien qu’aveuglés par la panique, les Nyissiens s’écartaient devant lui.

— Qu’est-ce que c’est que ça, Polgara ? grommela-t-il en se retournant pour la regarder, avec un ample mouvement de sa torche, comme pour écarter l’obscurité. Encore un de vos tours de magie ?

— Non, répondit-elle. Ce n’est pas de la sorcellerie. Des sortes de flocons gris voltigeaient dans la lumière de la torche.

— De la neige ? demanda Barak, incrédule.

— Non. Des cendres.

— Qu’est-ce qui brûle ?

— Une montagne. Retournons le plus vite possible au bateau. Nous avons plus à craindre de la foule que de tout ceci. Allons par là, suggéra-t-elle en jetant sa cape légère sur les épaules de Garion et en leur indiquant une rue où l’on voyait s’agiter quelques torches.

Les cendres commencèrent à tomber plus lourdement. On aurait dit qu’une farine grise, sale, et qui distillait une puanteur méphitique, se répandait à travers le tamis de l’air chargé d’humidité.

Lorsqu’ils arrivèrent aux quais, l’obscurité commençait à céder du terrain. Les cendres dérivaient maintenant vers le bas, s’insinuant dans les fissures entre les pavés et s’accumulant en ruisselets secs le long des bâtiments. Mais il avait beau faire de plus en plus clair, ils n’y voyaient pas à dix pas dans cette pluie de cendres, plus dense qu’un brouillard.

Les quais étaient plongés dans le chaos absolu. Des hordes de Nyissiens, hurlant et gémissant, tentaient de grimper dans les bateaux pour fuir la cendre étouffante qui dérivait dans un silence mortel à travers l’air humide. Nombreux étaient même ceux qui, succombant à l’affolement, préféraient s’engloutir dans les eaux fatales de la rivière.

— Nous n’arriverons jamais à traverser cette populace, Polgara, décida Barak. Attendez-moi un instant.

Il rengaina son épée, bondit et s’agrippa au rebord d’une toiture basse. Un rétablissement, et l’instant d’après, il était campé au bord du toit, au-dessus d’eux. Ils ne voyaient plus de lui qu’une vague silhouette.

— Holà, Greldik ! rugit-il d’une voix de tonnerre qui portait par-dessus le vacarme même de la foule.

— Barak ! retentit la voix de Greldik. Où es-tu ?

— Au bout du quai, hurla Barak en réponse. Nous ne pouvons pas passer, avec tous ces gens.

— Reste où tu es, fit Greldik. Nous allons venir te chercher.

Au bout de quelques instants, ils entendirent un vacarme de pieds frappant lourdement les pavés du quai. Quelques horions auxquels répondaient des cris de douleur ponctuèrent les hurlements de la foule au paroxysme de l’épouvante, puis Greldik, Mandorallen et une poignée de matelots particulièrement costauds, armés de gourdins, émergèrent de la pluie de cendres, se frayant un chemin avec une redoutable efficacité.

— Vous vous étiez perdus ? beugla Greldik à l’attention de Barak.

Barak bondit à bas du toit.

— Nous avons dû nous arrêter un moment au palais, répondit-il, sans s’étendre.

— Il commençait à nous venir de grandes craintes pour votre personne, gente dame, déclara Mandorallen, en écartant de son chemin un Nyissien éperdu de terreur. Le brave Durnik est rentré depuis plusieurs heures, déjà.

— Nous avons été retardés, commenta-t-elle. Capitaine, pouvez-vous nous amener à bord de votre bateau ?

Greldik répondit par un sourire inquiétant.

— Eh bien, allons-y, pressa-t-elle. Dès que nous serons à bord, je pense qu’il vaudrait mieux nous ancrer un peu plus loin du rivage. Les cendres vont bien finir par cesser de tomber, mais en attendant, ces gens vont continuer à s’affoler. Avez-vous eu des nouvelles de Silk ou de mon père ?

— Pas encore, ma Dame, répondit Greldik.

— Mais que fait-il donc ? se demanda-t-elle à elle-même avec agacement.

Mandorallen tira sa large épée et marcha droit sur la foule, sans ralentir ou infléchir sa trajectoire. Les Nyissiens s’évanouissaient littéralement devant lui.

La cohue était encore pire le long du vaisseau de Greldik. Alignés derrière le bastingage, Durnik, Hettar et tous les membres de l’équipage repoussaient à l’aide de longues gaffes les gens frappés de terreur.

— Sortez la passerelle, hurla Greldik au moment où ils arrivaient au bord du quai.

— Noble capitaine, balbutia un Nyissien au crâne chauve, en s’agrippant au gilet de fourrure de Greldik. Laisse-moi monter à bord de ton bateau et je te donnerai cent pièces d’or.

Greldik le repoussa d’un air dégoûté.

— Un millier de pièces d’or, promit le Nyissien en se cramponnant au bras de Greldik et en lui agitant une bourse sous le nez.

— Que l’on éloigne ce babouin de moi, ordonna Greldik.

D’un coup de gourdin, l’un des matelots mit négligemment le Nyssien hors d’état de nuire avant de le délester de sa bourse. Il l’ouvrit et en versa le contenu dans le creux de sa main.

— Trois pièces d’argent, dit-il avec écœurement. Le reste n’est que du cuivre.

Il se retourna pour flanquer à l’homme un bon coup de pied dans le ventre.

Ils montèrent à bord l’un après l’autre, tandis que Barak et Mandorallen repoussaient la foule en la menaçant des pires sévices.

— Larguez les amarres ! tonna Greldik lorsqu’ils furent tous à bord.

Les matelots coupèrent les lourdes amarres au grand désespoir des Nyissiens agglutinés le long du quai. Le bâtiment s’écarta lentement au gré du courant visqueux, suivi d’un concert de gémissements et de lamentations.

— Garion, dit tante Pol, tu devrais descendre mettre quelque chose de décent et enlever ce rouge dégoûtant que tu as sur la figure. Et puis reviens ici tout de suite. Je veux te parler.

Garion, qui avait oublié sa tenue succincte, piqua un fard et s’empressa de descendre sous le tillac.

Il faisait nettement plus clair lorsqu’il réapparut, revêtu d’une tunique et de chausses, mais les cendres grises dérivaient toujours dans l’air immobile, embrumant le monde autour d’eux, recouvrant toute chose d’une épaisse couche de poussière impalpable. Les matelots de Greldik avaient mouillé l’ancre, et le bateau se balançait mollement dans le courant léthargique, assez loin du bord.

— Par ici, Garion, appela tante Pol.

Debout à la proue, elle scrutait le brouillard poussiéreux. Garion s’approcha avec une certaine appréhension, le souvenir de ce qui s’était passé au palais encore bien vivace dans son esprit.

— Assieds-toi, mon chou, suggéra-t-elle. Je voudrais voir quelque chose avec toi.

— Oui, M’dame, acquiesça-t-il en s’asseyant sur le banc, près d’elle.

— Garion, dit-elle en se tournant vers lui et en le regardant droit dans les yeux. Est-ce qu’il s’est passé quelque chose pendant que tu étais au palais de Salmissra ?

— De quel genre de chose veux-tu parler ?

— Tu sais bien ce que je veux dire, répondit-elle plutôt sèchement. Tu ne vas pas nous mettre tous les deux dans l’embarras en m’obligeant à te poser des questions plus précises, j’espère ?

— Ah ! fit-il en s’empourprant. Des choses comme ça ! Non, il ne s’est rien passé.

Il évoqua, non sans regrets, le souvenir de la reine si tentante, comme un fruit presque trop mûr.

— Très bien. C’est tout ce que je craignais. Tu ne peux pas te permettre de te laisser entraîner dans ce genre de situation pour l’instant. Compte tenu des conditions spécifiques dans lesquelles tu te trouves, cela pourrait avoir des conséquences particulières.

— Je ne suis pas sûr de comprendre, dit-il.

— Tu disposes de certaines facultés, précisa-t-elle, et le fait de commencer à avoir des expériences dans certain domaine avant qu’elles n’aient atteint leur pleine maturité pourrait déterminer des résultats quelque peu imprévisibles. Mieux vaut ne pas confondre les registres pour le moment.

— Il aurait peut-être mieux valu qu’il se passe quelque chose, au contraire, balbutia Garion. Ça aurait peut-être mis ces facultés hors d’état d’agir — et de nuire à qui que ce soit par la même occasion.

— J’en doute. Ton pouvoir est trop grand pour être neutralisé si facilement. Tu te souviens de ce dont nous avons parlé le jour où nous avons quitté la Tolnedrie, ton instruction ?

— Je n’ai pas besoin d’instruction, protesta-t-il en s’assombrissant.

— Oh ! que si. Et maintenant plus que jamais. Tu es doté d’un pouvoir énorme, d’une puissance inconnue à ce jour, et si complexe que je n’arrive même pas à le comprendre complètement. Il faut que tu apprennes à le maîtriser avant de déclencher une catastrophe. Tu échappes à tout contrôle, Garion. Si tu tiens vraiment à éviter de faire du mal aux gens, tu devrais être plus que disposé à apprendre comment empêcher les accidents.

— Je ne veux pas être un sorcier, objecta-t-il. Tout ce que je demande, c’est d’être débarrassé de ce pouvoir. Tu ne peux pas m’y aider ?

— Non, répondit-elle en secouant la tête. Et même si j’en étais capable, je ne le ferais pas. Tu ne peux pas y renoncer, mon Garion. Ça fait partie de toi.

— Alors, toute ma vie je serai un monstre ? demanda amèrement Garion. Il va falloir que je passe le restant de mes jours à changer les gens en crapauds ou en serpents, ou à les brûler vifs ? Et peut-être même qu’au bout d’un moment j’y serai tellement habitué que ça ne me fera plus rien. Je vivrai éternellement — comme grand-père et toi — mais je ne serai plus humain. Tante Pol, je crois que je préfère mourir.

— Vous ne pouvez pas le raisonner ?

Sa voix s’adressait directement, dans son esprit, à l’autre conscience qui l’habitait.

— Pas pour l’instant, Polgara, répondit la voix sèche. Il est trop occupé à s’apitoyer sur son sort.

— Il faut qu’il apprenne à maîtriser le pouvoir dont il dispose, dit-elle.

— Je l’empêcherai de faire des bêtises, promit la voix. Je ne pense pas que nous puissions faire grand’chose d’autre avant le retour de Belgarath. Il traverse une crise morale, et nous ne pourrons pas vraiment nous entendre avec lui tant qu’il n’aura pas lui-même trouvé de solution au problème.

— Je n’aime pas le voir souffrir comme cela.

— Tu es trop sensible, Polgara. Il est solide, et ça ne peut pas lui faire de mal de souffrir un peu.

— Vous allez arrêter de me traiter comme si je n’existais pas, tous les deux ? demanda Garion, furieux.

— Dame Pol, fit Durnik, qui venait vers eux, je pense que vous feriez mieux de venir tout de suite. Barak veut se tuer.

— Il veut quoi ? releva tante Pol.

— Ça aurait un rapport avec une malédiction, expliqua Durnik. Il dit qu’il va se laisser tomber sur son épée.

— Quel imbécile ! Où est-il ?

— Il est retourné à l’arrière, répondit Durnik. Il a dégainé son épée, et il ne laisse approcher personne.

— Venez avec moi.

Elle se dirigea vers la poupe, Garion et Durnik sur ses talons.

— La folie du combat nous est à tous familière, ô Messire, disait Mandorallen en tentant de raisonner le grand Cheresque. Ce n’est pas une chose dont on ait à se glorifier, mais ce n’est pas non plus une raison pour se laisser aller à un tel désespoir.

Barak ne répondit pas. Il était campé sur le gaillard d’arrière, les yeux révulsés d’horreur, et balançait lentement son énorme épée d’un air menaçant, écartant tous ceux qui faisaient mine d’avancer.

Tante Pol fendit la foule des matelots et fonça droit sur lui.

— N’essayez pas de m’arrêter, Polgara, la menaça-t-il. Impavide, elle tendit la main et effleura du bout du doigt la pointe de son épée.

— Elle est un peu émoussée, dit-elle d’un ton pensif. Pourquoi ne pas demander à Durnik de l’aiguiser ? Elle glisserait mieux entre vos côtes lorsque vous vous laisserez tomber dessus.

Barak eut l’air un peu surpris.

— Vous avez bien pris toutes vos dispositions, j’espère ?

— Quelles dispositions ?

— Eh bien, concernant votre dépouille. Vraiment, Barak, je pensais que vous aviez plus de savoir-vivre. Un homme du monde n’encombrerait pas ses amis avec ce genre de corvée. Le procédé le plus généralement employé est l’incinération, bien sûr, mais le bois est très humide, en Nyissie, et vous mettriez plus d’une semaine à vous consumer. J’imagine qu’il faudra que nous nous résolvions à vous balancer à la rivière. Les sangsues et les écrevisses vous auront nettoyé jusqu’aux os en un jour ou deux.

Barak prit un air blessé.

— Voulez-vous que nous ramenions votre épée et votre bouclier à votre fils ? demanda-t-elle.

— Je n’ai pas de fils, répondit-il d’un ton morose.

Il ne s’attendait évidemment pas à cette brutale démonstration de sens pratique.

— Allons, je ne vous ai donc rien dit ? Je suis vraiment distraite.

— Mais de quoi parlez-vous ?

— Peu importe, dit-elle. C’est sans intérêt, à présent. Comptiez-vous vous laisser tout simplement tomber sur votre épée, ou vous précipiter contre le mât, la garde en avant ? Les deux façons sont bonnes. Voudriez-vous vous écarter, fit-elle en se retournant vers les matelots, de sorte que le comte de Trellheim puisse prendre son élan et courir jusqu’au mât ? Les matelots la regardèrent en ouvrant de grands yeux.

— Que vouliez-vous dire à propos de mon fils ? reprit Barak en baissant son épée.

— Cela ne ferait que vous perturber, Barak. Il est probable que vous vous massacreriez ignoblement si je vous racontais tout ça maintenant. Nous ne tenons vraiment pas à ce que vous nous encombriez en geignant pendant des semaines. Ce serait beaucoup trop déprimant, vous savez.

— Je veux que vous me disiez de quoi vous parliez !

— Oh ! très bien, soupira-t-elle. Merel, votre femme, attend un enfant. Le résultat de certains hommages que vous lui avez rendus lors de notre visite au Val d’Alorie, j’imagine. Elle est plus grosse que la pleine lune, en ce moment, et votre exubérante progéniture lui fait une vie d’enfer avec ses coups de pied.

— Un fils ? articula Barak, les yeux comme des soucoupes, tout à coup.

— Vraiment, Barak, protesta-t-elle. Vous devriez faire un peu plus attention à ce qu’on vous dit. Vous n’arriverez jamais à rien si vous ne vous décidez pas à vous déboucher les oreilles.

— Un fils ? répéta-t-il, en laissant échapper son épée.

— Voilà que vous l’avez laissée tomber, maintenant, le gourmanda-t-elle. Allons, ramassez-la, et finissons-en. C’est vraiment un manque d’égards et de considération envers autrui que de mettre toute la journée à se tuer comme ça.

— Ah, mais je ne me tue plus, déclara-t-il avec indignation.

— Vous ne vous tuez plus ?

— Sûrement pas, alors, balbutia-t-il.

Puis il aperçut l’ombre de sourire qui s’épanouissait à la commissure des lèvres de tante Pol, et il pencha la tête d’un air penaud.

— Espèce de grosse andouille, dit-elle.

Puis elle lui empoigna la barbe à deux mains, lui tira la tête vers le bas, et appliqua un gros baiser sonore sur son visage sali par les cendres. Greldik eut un gloussement d’allégresse ; Mandorallen fit un pas en avant et étreignit Barak dans une accolade bourrue.

— Je me réjouis pour Toi, ô mon ami, déclama-t-il, et mon cœur s’enfle d’allégresse.

— Qu’on apporte un tonneau de bière ! ordonna Greldik à ses matelots en flanquant de grandes claques dans le dos de son ami. Nous allons saluer l’héritier des Trellheim avec la bonne vieille bière brune de Cherek.

— Je pense que ça ne va pas tarder à dégénérer, maintenant, dit calmement tante Pol à Garion. Viens avec moi.

Ils retournèrent à la proue du bateau.

— Est-ce qu’elle reprendra sa forme un jour ? demanda Garion quand ils furent à nouveau seuls.

— Qui donc, mon chou ?

— La reine, précisa Garion. Est-ce qu’elle retrouvera sa forme ?

— Avec le temps, elle n’en aura même plus envie, répondit tante Pol. La forme que l’on adopte finit par dominer la pensée, au bout d’un moment. Avec les années, ce sera de plus en plus un serpent et de moins en moins une femme.

— Il aurait été plus clément de la tuer, commenta Garion, avec un frisson.

— J’avais promis au Dieu Issa de ne pas le faire, dit-elle.

— C’était vraiment le Dieu ?

— Son esprit, répondit-elle, et son regard se perdit dans les cendres qui tombaient toujours. Salmissra a investi l’effigie d’Issa de son esprit, et l’espace d’un moment au moins, la statue a été le Dieu. C’est très compliqué. Mais où peut-il bien être passé ? fit-elle, l’air tout à la fois préoccupé et irrité, subitement.

— Qui ça ?

— Mon père. Il y a des jours qu’ils devraient être ici, maintenant.

Ils restèrent plantés l’un à côté de l’autre à regarder les flots boueux.

Finalement, elle se détourna du bastingage et épousseta les épaules de sa cape d’un air dégoûté, soulevant de petits nuages de cendre.

Je descends, dit-elle en faisant une grimace. Ça commence à devenir vraiment trop sale pour moi, ici.

— Je croyais que tu voulais me parler.

— Je ne penses pas que tu sois prêt à écouter ce que j’ai à te dire. J’attendrai.

Elle fit un pas, puis s’arrêta.

— Au fait, Garion ?

— Oui ?

— A ta place, je m’abstiendrais de boire la bière que les matelots sont en train d’ingurgiter. Après ce qu’ils t’ont fait prendre au palais, ça te rendrait sûrement malade.

— Ah ! bon, répondit-il, non sans regrets. D’accord.

— Tu feras ce que tu veux, bien sûr, reprit-elle. Mais je me disais que tu préférerais le savoir avant.

Puis elle se détourna à nouveau, et s’enfonça par l’écoutille dans les profondeurs du navire.

Garion était en proie à des émotions mitigées. La journée avait été fertile en événements, et il avait la tête farcie d’un tourbillon d’images confuses.

— Du calme, lui dit sa voix intérieure.

— Comment ?

— J’essaie d’entendre quelque chose. Ecoute.

— Ecouter quoi ?

— Là. Tu n’entends rien ?

Faiblement, comme venant de très loin, Garion eut l’impression d’entendre un bruit de sabots étouffé.

— Qu’est-ce que c’est ?

La voix ne répondit pas, mais l’amulette qu’il avait autour du cou se mit à palpiter au rythme du martèlement lointain. C’est alors qu’un bruit de pas précipités se fit entendre derrière lui.

— Garion !

Il se retourna juste à temps pour se retrouver prisonnier de l’étreinte de Ce’Nedra.

— Je me faisais tellement de souci pour toi. Où étais-tu passé ?

— Des gens sont montés à bord et se sont emparés de moi, dit-il en tentant de se débarrasser d’elle. Ils m’ont emmené au palais.

— Mais c’est terrible ! s’exclama-t-elle. Tu as rencontré la reine ?

Garion hocha la tête et eut un frisson en repensant au serpent encapuchonné qui se regardait dans un miroir, alangui sur son divan.

— Qu’est-ce qui ne va pas ? demanda la fille.

— Il s’est passé beaucoup de choses, répondit-il. Pas toutes agréables.

Quelque part, au fin fond de sa conscience, le tambourinement continuait.

— Tu veux dire qu’ils t’ont torturé ? interrogea Ce’Nedra, en écarquillant les yeux.

— Non, pas du tout.

— Alors, que s’est-il passé ? insista-t-elle. Raconte-moi. Il savait qu’elle ne le laisserait pas en paix tant qu’il ne se serait pas exécuté, de sorte qu’il lui décrivit du mieux qu’il put ce qui s’était passé. Le bruit sourd semblait se rapprocher pendant qu’il parlait, et la paume de sa main droite se mit à le picoter. Il la frotta sans y penser.

— C’est absolument affreux, déclara Ce’Nedra, quand il eut fini. Tu n’as pas eu peur ?

— Pas vraiment, tempéra Garion en se grattouillant toujours la paume de la main. J’étais tellement abruti, la plupart du temps, par les choses qu’ils m’avaient fait boire que j’aurais été bien incapable d’éprouver quoi que ce soit.

— C’est vraiment toi qui as tué Maas, juste comme ça ? demanda-t-elle en claquant les doigts.

— Ça ne s’est pas passé tout à fait comme ça, tenta-t-il d’expliquer. Ce n’est pas si simple.

— Je savais bien que tu étais un sorcier, dit-elle. Je te l’ai dit le jour où nous étions à la piscine, tu te souviens.

— Mais je ne veux pas être sorcier, protesta-t-il. Je n’ai jamais demandé à l’être.

— Je n’ai pas demandé à être princesse non plus.

— Ce n’est pas la même chose. Etre un roi ou une princesse, c’est être ce qu’on est. Etre un sorcier, ça a un rapport avec ce qu’on fait.

— Je ne vois pas la différence, objecta-t-elle d’un ton obstiné.

— Je peux amener des choses à se produire, précisa-t-il. Des choses terribles, la plupart du temps.

— Et alors ? riposta-t-elle, exaspérante. Moi aussi, je peux déclencher des choses horribles. Ou du moins, je pouvais, à Tol Honeth. Un mot de moi aurait pu envoyer un serviteur au poteau de torture, ou au billot. Je ne l’ai jamais prononcé, évidemment, mais j’aurais pu. Le pouvoir, c’est le pouvoir, Garion. Le résultat est le même. Tu n’es pas obligé de faire du mal aux gens si tu ne veux pas.

— Mais c’est pourtant ce qui arrive de temps en temps, sans que j’en aie envie.

La palpitation devenait obsédante, maintenant, presque comme un mal de tête assourdi.

— Eh bien, il faut que tu apprennes à contrôler ton pouvoir.

— J’ai l’impression d’entendre parler tante Pol.

— Elle essaie seulement de t’aider, déclara la princesse. Elle n’arrête pas d’essayer de te faire faire de ton plein gré ce que tu seras bien obligé de faire, en fin de compte. Combien de gens vas-tu transformer en torches humaines avant de finir par accepter ce qu’elle te dit ?

— Ça, ce n’était pas nécessaire, rétorqua Garion, piqué au vif.

— Oh ! si, assura-t-elle. Je crois que si. Tu as de la chance que je ne sois pas ta tante. Je ne supporterais pas tes caprices comme elle.

— Vous ne comprenez rien, marmonna Garion d’un ton sinistre.

— Je comprends bien mieux que toi, Garion. Tu sais quel est ton problème ? Tu ne veux pas grandir. Tu voudrais rester un petit garçon jusqu’à la fin de tes jours. Mais ce n’est pas possible. Personne ne peut empêcher le passage du temps. Quel que soit ton pouvoir, que tu sois un empereur ou un sorcier, tu ne peux pas empêcher les années de filer. Il y a longtemps que je m’en suis rendu compte, mais enfin, c’est sûrement que je suis beaucoup plus intelligente que toi.

Puis, sans un mot d’explication, elle se dressa sur la pointe des pieds et lui déposa un léger baiser en plein sur les lèvres. Garion s’empourpra et baissa la tête, tout embarrassé.

— Dis-moi, poursuivit Ce’Nedra en jouant avec la manche de sa tunique. La reine Salmissra était-elle aussi belle qu’on le dit ?

— C’était la plus belle femme que j’ai jamais vue de ma vie, répondit Garion sans réfléchir. La princesse inspira brutalement.

— Je te déteste ! s’écria-t-elle entre ses dents serrées. Puis elle fit volte-face et partit en courant, tout éplorée, à la recherche de tante Pol.

Garion la suivit des yeux, perplexe, puis se détourna pour regarder rêveusement la rivière et les cendres qui dérivaient, emportées par le courant. Le picotement dans sa paume devenait vraiment intolérable et il se gratta le fond de la main, enfonçant férocement ses ongles dans sa chair.

— Tu vas te faire mal et c’est tout, dit sa voix intérieure.

— Ça me gratte. Je ne peux pas le supporter.

— Arrête de faire l’enfant.

— Mais d’où ça vient ?

— Tu veux dire que tu n’as vraiment pas compris ? Tu as davantage à apprendre que je ne pensais. Prends ton amulette dans la main droite.

— Pour quoi faire ?

— Fais ce que je te dis, c’est tout, Garion.

Garion fouilla sous sa tunique et mit sa paume brûlante sur son pendentif. Le contact entre sa main et l’amulette palpitante lui fit l’impression d’approcher la perfection, un peu comme une clef rentrant dans la serrure pour laquelle elle a été faite, mais en plus ample. Le picotement devint la vague impérieuse qui lui était maintenant familière, et la palpitation sembla éveiller un écho vide dans ses oreilles.

— Pas trop fort, fit la voix intérieure, comme pour le mettre en garde. Tu n’essaies pas d’assécher la rivière, tu sais.

— Que se passe-t-il ? Mais qu’est-ce que c’est, à la fin ?

— Belgarath tente de nous retrouver.

— Grand-père ? Où est-il ?

— Un peu de patience.

Garion avait l’impression que la palpitation devenait de plus en plus forte, et bientôt son corps tout entier se mit à frémir à chaque pulsation. Il plongea le regard par-dessus le bastingage, dans l’espoir d’apercevoir quelque chose dans la brume, mais la cendre qui se posait à la surface de la rivière boueuse, si légère qu’elle la recouvrait sans s’y engloutir, empêchait d’y voir à plus de vingt pas. On n’apercevait même pas la cité, et la pluie sèche donnait presque l’impression d’étouffer les cris et les gémissements qui s’élevaient des rues invisibles. On ne distinguait à vrai dire que le lent passage du courant contre la coque.

C’est alors que quelque chose se mit à bouger, loin sur la rivière. Quelque chose de pas très gros, qui semblait n’être, au départ, qu’une silhouette sombre dérivant, fantomatique et silencieuse, au gré du courant.

La palpitation devint encore plus forte. Puis l’ombre se rapprocha, et Garion commença à distinguer la forme d’une petite barque. Une rame entra dans l’eau, lui arrachant un petit clapotement. L’homme qui était aux avirons se tourna pour regarder par-dessus son épaule. Garion reconnut Silk. Son visage était couvert de cendre grise, et des ruisselets de sueur lui sillonnaient les joues.

Sire Loup était assis à l’arrière de la petite embarcation, emmitouflé dans sa cape dont il avait relevé le capuchon.

— Bienvenue à toi, Belgarath, dit la voix sèche.

— Qui est-ce ? La voix de sire Loup paraissait surprise, dans l’esprit de Garion. C’est toi, Belgarion ?

— Pas tout à fait, répondit la voix. Pas encore, en tout cas, mais nous y arriverons.

— Je me demandais qui pouvait causer tout ce bruit.

— Il a parfois tendance à en faire un peu trop. Mais il finira par s’y mettre.

L’un des matelots réunis autour de Barak, à la poupe, poussa un beuglement et ils se retournèrent tous pour regarder la barque qui venait lentement vers eux.

Tante Pol remonta des profondeurs de la coque et s’approcha du bastingage.

— Vous n’êtes pas en avance, dit-elle.

— Nous avons été retardés, répondit le vieil homme par-dessus le vide qui diminuait à chaque coup de rame.

Il repoussa sa capuche et secoua la cendre impalpable qui recouvrait sa cape. Puis Garion vit que le vieil homme avait le bras retenu par une ficelle sale, sur la poitrine.

— Qu’est-ce que tu t’es fait au bras ? demanda tante Pol.

— Je préfère ne pas en parler.

Sire Loup avait la joue marquée d’une vilaine balafre qui se perdait dans sa courte barbe blanche, et ses yeux semblaient briller d’une prodigieuse contrariété.

Le visage couvert de cendres du petit homme qui, d’un coup de rame, amena habilement la barque le long du vaisseau de Greldik dans un choc insignifiant, arborait un sourire incroyablement rusé.

— Je n’imagine pas pouvoir arriver à vous convaincre de fermer votre bec ? lâcha sire Loup d’un ton peu amène.

— Comment pouvez-vous penser que j’oserais dire quoi que ce soit, puissant sorcier ? riposta Silk, d’un ton moqueur, en ouvrant tout grand ses petits yeux de fouine dans une superbe démonstration de fausse ingénuité.

— Aidez-moi plutôt à monter à bord, rétorqua sire Loup d’un ton hargneux.

Tout son comportement était celui d’un homme qui a été victime d’une insulte mortelle.

— A vos ordres, vénérable Belgarath, s’empressa Silk, en faisant des efforts visibles pour ne pas éclater de rire.

Il aida tant bien que mal le vieil homme à passer par-dessus le bastingage du bateau.

— Ne nous éternisons pas ici, déclara sire Loup, laconique, au capitaine Greldik venu l’accueillir.

— Par où voulez-vous aller, vénérable Ancien ? s’enquit prudemment Greldik, apparemment peu désireux d’aggraver l’humeur du vieil homme.

Sire Loup lui jeta un regard féroce.

— Vers l’aval ou vers l’amont ? précisa Greldik d’un ton conciliant.

— Vers l’amont, évidemment, cracha sire Loup.

— Comment vouliez-vous que je le sache ? demanda Greldik, en prenant tante Pol à témoin.

Puis il se détourna et commença à aboyer des ordres à ses hommes.

L’expression de tante Pol était un mélange complexe de soulagement et de curiosité.

— Je suis sûre que tu vas avoir une histoire fascinante à nous raconter, père, insinua-t-elle comme les matelots commençaient à relever les lourdes ancres. J’ai hâte de l’entendre.

— Je me passerai avantageusement de tes sarcasmes, Pol, déclara sire Loup. J’ai eu une dure journée. Essaie de ne pas me rendre les choses encore plus pénibles, si tu peux.

C’en fut trop pour Silk. A ces mots, le petit homme, qui était en train d’escalader le bastingage, s’écroula, en proie à un fou rire incontrôlable. Il s’effondra sur le pont en hurlant de rire.

Sire Loup observa son compagnon hilare avec l’expression du plus profond courroux, tandis que les marins de Greldik se mettaient aux avirons et ramenaient le navire dans le sens du courant paresseux.

— Qu’est-ce que tu t’es fait au bras, père ? demanda tante Pol avec un regard acéré, et d’un ton qui indiquait clairement qu’elle n’entendait pas se faire mener en bateau un instant de plus.

— Je me le suis cassé, répondit platement sire Loup.

— Comment as-tu fait ça ?

— Un stupide accident, Pol. Le genre de choses qui arrivent de temps en temps.

— Fais-moi voir ça.

— Oui, tout de suite. Vous ne pourriez pas arrêter un peu, gronda-t-il, en stigmatisant du regard Silk toujours hilare, et dire aux matelots où nous allons ?

— Et où allons-nous, père ? s’informa tante Pol. Tu as retrouvé la piste de Zedar ?

— Il est passé en Cthol Murgos. Ctuchik l’attendait.

— Et l’Orbe ?

— Elle est entre les mains de Ctuchik, maintenant.

— Penses-tu que nous allons réussir à l’intercepter avant qu’il n’arrive à Rak Cthol ?

— J’en doute. De toute façon, il faut d’abord que nous allions au Val.

— Au Val ? Mais enfin, père, ça n’a pas de sens.

— Notre Maître nous appelle, Pol. Il veut que nous allions au Val, et c’est là que nous irons.

— Et l’Orbe, alors ?

— C’est Ctuchik qui l’a, et je sais où le retrouver. Il n’ira pas loin. Pour l’instant, nous partons pour le Val.

— Très bien, père, conclut-elle d’un ton implacable. Ne t’excite pas. Tu t’es battu ou quoi ? demanda-t-elle d’un ton inquiétant, en le regardant sous le nez.

— Non, je ne me suis pas battu, répondit-il d’un air écœuré.

— Que s’est-il passé, alors ?

— Un arbre m’est tombé dessus.

— Hein ?

— Tu as bien entendu.

Et tandis que le vieil homme leur avouait, bien à contrecœur, ses exploits, arrachant un nouvel accès d’hilarité à Silk, à l’avant du bateau où Greldik et Barak tenaient la barre, le tambour se mit à battre sur un rythme lent. Alors les matelots plongèrent leurs avirons en cadence dans les eaux huileuses, et le vaisseau commença à remonter le courant, accompagné des éclats de rire de Silk, qui striaient l’air chargé de cendres.

La Reine des sortileges
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